Paradis fiscal et fraude – Résidence fiscale des sociétés - Droits d’auteur - Loi pot-pourri

Résidence fiscale des sociétés et paradis fiscaux : une nouvelle jurisprudence clarifie les critères

La résidence fiscale des sociétés est un sujet qui anime les fiscalistes depuis plusieurs décennies et pour cause : lorsqu’une société est reconnue comme résidente fiscale de la Belgique, elle voit ses revenus mondiaux imposables dans notre Royaume. Les administrations fiscales sont dès lors assez attentives au phénomène des sociétés étrangères dans la mesure où elles tentent parfois de contester la résidence fiscale de ces sociétés non-résidentes pour ‘ramener’ la base taxable étrangère, qui échappe donc généralement à l’impôt, sous leur emprise nationale.

 Plus rarement, lorsque le dossier est perçu comme recelant de la fraude grave, comme dans cette affaire, il est traité par le ministère public et peut terminer devant le Tribunal correctionnel.

Ce mois de janvier à vu la fin d’une instruction de plus de 10 années menée concernant un artiste belge qui était actionnaire d’une société non-résidente et dont le parquet a considéré qu’elle devait en réalité être vue comme une société résidente fiscale belge. L’affaire touche également aux rémunérations que l’artiste percevait de cette société mais cet aspect n’est pas pertinent pour la question qui nous occupe, bien qu’il confirme une fois de plus la position que nous défendons à l’égard des revenus de droits d’auteur dans notre UpTaxed 2022-06 du 17 juin 2022, ce qu’il est toujours intéressant de relever.

En droit fiscal, la résidence d’une société se détermine, en substance, à l’aide du critère du siège réel de la société, ce qui vise le lieu où sont prises les décisions essentielles, où sont données les impulsions de la société.

L’enquête du ministère public révéla que la société non-résidente ‘ciblée’ recevait des instructions de paiement depuis la Belgique, émises par un administrateur (résident belge) d’une société belge appartenant au même groupe. Le ministère public contesta la réalité de la localisation de la société non-résidente en argumentant que cette société était une coquille vide, pourvue d’administrateurs intervenant au titre d’hommes de paille, à l’appui notamment de ces quelques messages saisis dans les bureaux de la société belge qui démontraient que des demandes de paiement étaient formulées depuis la Belgique.

Ce n’est pas le premier litige relatif à la résidence d’une société étrangère faisant partie d’un groupe belge. L’un des plus grands opérateurs télécom belges était par exemple au même moment devant les tribunaux concernant l’une de ses filiales étrangères dont l’administration fiscale considérait (à tort) qu’elle devait être traitée comme résidente belge et soumise à l’impôt des sociétés.

Au fil de ces jurisprudence tantôt civiles (i.e., fiscales), tantôt pénales, se dégage toutefois la confirmation de la thèse que nous soutenons en la matière : la résidence fiscale d’une société s’apprécie dans les faits, à l’aide d’une multitude de critères permettant essentiellement de vérifier, au vu des activités de la société et de leur ampleur, où sont prises les décisions-clés et par qui.

Dans cette affaire, la Chambre du conseil ordonna un non-lieu et réfuta la thèse du ministère public qui a entretemps précisé qu’il n’interjetterait pas appel.

A l’analyse du dossier, la décision relève que la société non-résidente exerçait des activités réelles et que sa localisation dans son pays de résidence l’était tout autant. La Chambre du conseil constata que les administrateurs de cette société disposaient de véritables pouvoirs de gestion, que la société possédait une réelle adresse de correspondance et son propre compte à l’étranger et en conclut que les quelques instructions de paiement données depuis la Belgique étaient sans conséquence sur la réalité de la localisation de la société dans son pays de résidence car ils ne sont pas considérés, par la Chambre du conseil, comme des actes de gestion.

C’est une décision qui doit être approuvée car elle analyse avec beaucoup de clairvoyance la réalité de la situation du groupe, de la société et des personnes impliquées, pour la confronter aux critères pertinents en la matière. Ce qui est inhabituel pour une telle juridiction, et instructif, c’est qu’elle ne se contente pas de constater le manque d’éléments à charge mais professe une leçon de fiscalité en motivant longuement sa décision.

A l’intermédiaire des différentes vérifications qu’elle a opérées, la Chambre du conseil constatera que la ‘véritable gestion’ de la société était localisée dans son pays de résidence et non en Belgique. Cette décision confirme donc les critères pratiques qui peuvent s’avérer pertinents pour définir la résidence fiscale d’une société mais également le fait que la ‘simple’ délégation de certaines tâches au sein d’un groupe ne peut suffire, en tant que telle, à mettre à mal les résidences fiscales des sociétés concernées. Il n’existe toutefois, et malheureusement d’ailleurs, pas de démarcation claire en cette matière et cette affaire montre que la prudence doit rester de mise ; dans chaque cas, il conviendra de veiller à analyser la situation concrète en vue de s’assurer de ne prendre aucun risque.

Il faut encore souligner que cette société était localisée dans un paradis fiscal, aux Îles Vierges britanniques, ce qui a vraisemblablement poussé le parquet à considérer qu’il s’agissait d’un cas de fraude grave. Cela n’a toutefois pas influé sur l’analyse de la Chambre du conseil, à juste titre.

Cette décision rappelle une fois encore qu’en tant que telle, l’utilisation d’une société résidente d’un paradis fiscal ne constitue pas de la fraude fiscale. La fraude suppose une infraction à la loi fiscale commise dans le but de s’arroger un avantage illicite, ou de nuire, ce qui ne peut être confondu avec la recherche de la voie la moins imposée, ou la plus efficace comme c’était le cas dans cette affaire.

Contrairement à ce que ministère public pensait, le principal intéressé dans cette affaire n’était pas l’actionnaire belge mais bien la société elle-même qui avait cherché à se localiser dans un pays où les flux financiers qu’elle serait amenée à percevoir et à rétrocéder pour les besoins de ses activités ne subiraient pas de double ou triple taxations. Elle centralisait en effet des droits de propriété intellectuelle exploités dans le cadre des activités du groupe et percevait dès lors des royalties dérivant de cette exploitation dont elle devait reverser la majeure partie à des tiers ‘sous-traitants’ (artistes et autres concepteurs). Etant donné que les royalties sont presque systématiquement soumises à une retenue à la source dans le pays d’où elles proviennent (en Belgique, le précompte mobilier de 30%) tout en restant taxables dans le pays de résidence du bénéficiaire, cette société s’était établie dans un pays qui ne prélèverait pas une deuxième fois une telle retenue fiscale avant redistribution de leur part aux contributeurs sous-traitants. A défaut, à la retenue à la source du pays du client du groupe, se serait ajoutée celle du pays de cette société intermédiaire, avant soumission à l’impôt final dans le pays du bénéficiaire ; de la triple taxation.

Outre que cette ‘utilité fiscale’ avait pour but de rapatrier des revenus imposables plus importants dans le pays de résidence de leurs bénéficiaires (e.g., la Belgique), parce que moins soumis aux impôts étrangers, elle pouvait donc se justifier par des nécessités commerciales très concrètes dont une qui saute aux yeux  : à défaut de pouvoir éliminer les doubles ou triples taxations, la société – et donc le groupe – n’aurait sans doute su convaincre ces sous-traitants de collaborer à ses projets car ils auraient perçus des rémunérations démesurément amputées d’impôts étrangers, avant de payer leurs propres impôts. Imaginons une retenue de 30% prélevée dans le pays du client du groupe, puis une autre de 30% en Belgique à l’occasion de l’intermédiation d’une société centralisatrice, et une imposition finale de 40% dans le pays de résidence. L’imposition totale dépasserai les 70%...

De manière très lucide, la Chambre du conseil ne considère pas l’utilisation d’une telle structure, dans les circonstances de cette affaire, comme de la fraude fiscale. La Chambre pointe non seulement le fait qu’aucune infraction n’est commise aux lois belges d’impôts (et qu’il n’y a pas de simulation) mais en outre, qu’aucune intention de se procurer un avantage illicite (ou de nuire) ne peut être identifiée. Rappelons toutefois que depuis les faits, de nouvelles mesures ont été introduites en droit fiscal belge pour permettre une taxation des revenus de telles structures, suivant une approche de ‘CFC-rule’.

Pour une analyse plus détaillée de cette décision, retrouvez ma publication dans le prochain numéro de la Revue Générale de Fiscalité et Comptabilité Pratique (Kluwer) qui y est entièrement consacrée.

Régime fiscal des droits d’auteur : la situation est toujours peu claire  

Le régime fiscal des droits d’auteur va être réformé, ce n’est plus une nouveauté.

Le rapport de la deuxième lecture du projet de loi-programme qui portera cette réforme vient d’être publié, sans toutefois que l’avenir du régime, pour ce qui concerne les métiers de l’informatique, n’ait été clarifié.

Nous nous souviendrons que le ministre des Finances a annoncé la fin de l’application du régime pour ces métiers mais qu’après les réactions du secteur, les discussions reprirent.

Le ministre reste malheureusement très vague à ce stade. En déclarant uniquement que la réforme « n'altère en rien l'accès au régime en fonction de la profession exercée”, il nous laisse malheureusement sans réponse précise, ce qui est malheureux car le projet de texte, en l’état, est peu clair et ne manquerait pas de susciter des litiges s’il était adopté tel quel, au vu de ses possibles interprétations.

Fin des relevés récapitulatifs

Relevons enfin  la loi du 21 décembre 2022 portant des dispositions fiscales diverses qui supprime notamment, depuis le 1er janvier 2023, l'obligation de justifier certains frais (commissions, rémunérations, etc.) sur des relevés récapitulatifs.

Seule subsiste l’obligation d’introduction des fiches individuelles.

 

Xavier Gillot  

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